
Le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe à Strasbourg a organisé, le 26 mars dernier à Strasbourg des discussions relatives au « rôle des autorités sous-régionales dans les pays à trois niveaux d’autonomie infranationale ».
Plusieurs États ont mis en place des systèmes d’autonomie infranationale comportant trois niveaux de gouvernance, la répartition spécifique des compétences variant selon les États membres.
Le second de ces niveaux, intermédiaire entre les régions et les autorités locales, fait donc partie intégrante de la structure territoriale nationale. Ses fonctions et ses responsabilités peuvent permettre de réaliser des économies d’échelle qui améliorent l’efficacité des services publics et de fournir des services que les autorités locales ne peuvent pas offrir. Bien qu’il soit généralement considéré comme un échelon nécessaire dans les grands Etats, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe notait déjà en 2012 que cet échelon intermédiaire était remis en cause au profit d’un renforcement des compétences au niveau régional et local.
L’idée d’organiser un débat sur le rôle des niveaux intermédiaires de gouvernement a également été inspirée par les discussions en cours en Ukraine, où il n’existe pas encore de consensus sur le rôle futur des administrations des « raions ».
L’Ukraine est loin d’être le seul pays à disposer de trois niveaux de gouvernement infranationaux où l’on s’interroge sur l’avenir de cet échelon. En France, la commission Attali chargée de « libérer la croissance » a proposé en 2008 la suppression des départements. La loi NOTRe de 2015 a supprimé la clause de compétence générale des départements, qui leur donnait une marge de manœuvre pouvant aller au-delà de leurs compétences légales.
En Pologne, le gouvernement a redéfini le système des finances publiques en limitant les pouvoirs des powiats, qui ont été à la base de la reconstruction du gouvernement local depuis 1999. En Italie, le référendum constitutionnel de 2001 a attribué une grande partie des compétences de l’État central aux régions.
Globalement, ces politiques visaient à rationaliser l’administration en réduisant la bureaucratie et en augmentant l’efficacité et l’efficience du service public. Cependant, des considérations démocratiques et de gouvernance doivent être examinées. En fonction de la taille des régions et des municipalités dans un pays donné, les écoles, les services sociaux, les services de l’emploi, la protection de l’environnement et l’entretien des routes et des ponts pourraient être affectés si leur gestion était transférée à l’une ou l’autre des autres autorités locales. Enfin, elles jouent un rôle dans la mise en œuvre des politiques de cohésion sociale et territoriale qui soutiennent les programmes européens.
D’un point de vue démocratique, l’élimination ou la réduction drastique des compétences des niveaux intermédiaires de gouvernement peut se heurter à une forte résistance de la part des citoyens concernés. Les territoires de ces autorités peuvent avoir un passé historique important et de nombreux citoyens peuvent s’identifier à leurs départements, kreise, comtés, powiats ou provinces.
C’est dans ce contexte que la Confédération européenne des Pouvoirs locaux intermédiaires (CEPLI) a été invitée à prendre la parole lors de congrès. Son Président, André Viola, a eu l’occasion de faire le point sur la situation du niveau intermédiaire en Europe, son importance et ses perspectives d’avenir.
Vous retrouverez, les éléments de cette intervention ici :
Q1- Entre l’urgence de simplification administrative et la complexification continue du travail administratif, quel est le rôle des niveaux intermédiaires de gouvernement infranational ?
Ce que nous constatons, c’est que la quasi-totalité des « grands » pays dispose de trois niveaux de collectivités.
C’est que cela correspond à une nécessité, tant par rapport au besoin de proximité ressenti dans ces pays, que des compétences exercées par les pouvoirs locaux intermédiaires le soient en respectant le principe de subsidiarité.
Même si leurs compétences et la manière de les mettre en œuvre peuvent différer, elles ont des caractéristiques communes :
- Infrastructure, social, santé, sport, transports, éducation, tourisme, gestion des déchets, culture, soutien aux communes, solidarités Rural, périurbain et urbain, protection de l’environnement et du climat, santé publique et protection des consommateurs ainsi que protection civile, aménagement et développement territorial, et pour certains, développement économique
Ces compétences se situent toutes au même niveau.
Si le scénario de la préservation de ce niveau de gouvernance territoriale était privilégié, cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait strictement aucune réforme envisageable, si on leur en laisse la possibilité, ils savent s’adapter pour répondre aux défis de plus en plus nombreux.
Encore faut-il les concerter.
Supprimer l’institution ne supprime pas les besoins de nos concitoyens.
L’exemple italien nous montre qu’il n’y a pas eu de diminution des coûts, bien au contraire, mais une baisse de la qualité des services rendus.
Il serait donc judicieux de procéder à une analyse et une évaluation des États concernés par ces réformes ;
Q2 -Y a-t-il d’autres pays où ce rôle est discuté ou des réformes sont envisagées ?
Depuis un certain nombre d’années, dans de nombreux pays en Europe, on peut observer une tendance à remettre en question le rôle des Pouvoirs locaux intermédiaires, justifiée par :
- la nécessité de réduire les coûts de l’administration publique,
- et d’améliorer les services rendus à la population.
L’Italie a été le premier pays à entreprendre cette réforme : dix ans après, nous pouvons constater très concrètement les résultats en termes de réduction des coûts et d’efficacité sont totalement négatifs.
Mais d’autres pays en Europe sont concernés par ses volontés de reformes comme en Belgique, en Moldavie, en Roumanie et en France.
L’exemple de la Pologne est intéressant : les Powiats polonais ont été supprimés en 1975.
Dès 1976 et jusqu’en 1999, l’Etat a dû mettre en place des districts administratifs d’État pour assumer de nombreuses tâches qui n’étaient plus assurées, et qui finalement s’avéraient indispensables sur le territoire.
Les municipalités n’étaient pas en mesure d’assumer toutes ces tâches.
En 1999, la Pologne a rétabli les Powiats dans leurs prérogatives…Pour l’instant, il n’est plus question de les supprimer.
Nous tenons à souligner que l’Association des Conseils des Raïons en Moldavie n’a pas été associée au projet de reformes concernant ces membres.
Elle n’a pas été invité à siéger au Conseil de l’Europe.
C’est le même problème pour les Provinces belges qui ne peuvent pas siéger au Comité Européen des Régions et faire entendre leur voix au sein de la seule institution européenne qui représente les collectivités territoriales.
Q3 -Que peut-on faire pour améliorer l’efficacité des services fournis par le niveau intermédiaire de gouvernance ?
Depuis ces dernières années, les crises se multiplient et leurs impacts frappent de plus en plus rapidement et durement les territoires et les populations :
- Changements climatiques et démographiques, inégalités et pauvreté, risques économiques systémiques, déficits de gouvernance, montée des extrémismes, crise migratoire, pandémie de la Covid, guerre en Ukraine et ses corollaires, l’inflation et la crise énergétique.
Ces crises entrainent des mutations qui bouleversent l’évolution durable de nos sociétés et fragilisent nos institutions.
Les conséquences de ces évènements, souvent dramatiques, représentent également des coûts : humains, sociaux, économiques, environnementaux.
En menant des travaux sur la résilience territoriale, nous avons pu voir que les PLI, partout où ils existent en Europe, partagent des compétences qui les amènent à assumer un rôle de filet de sécurité pour les populations et les territoires.
Les études déjà menées sur la période Covid et son impact territorial par le programme Espon de l’UE ont démontré que c’est à ce niveau que la lisibilité des crises est la meilleure pour les États membres et l’Union Européenne.
ESPON, qui appartient à la famille des Programmes Interreg, permet une recherche appliquée pour créer un lien entre la recherche scientifique et la mise en œuvre des politiques publiques dans le domaine de l’aménagement et du développement des territoires.
Le programme ESPON attache beaucoup d’importance à l’implication des décideurs politiques au sein de ses travaux, afin qu’ils puissent réutiliser les données pour concevoir et mettre en place les politiques sur leurs territoires
Il a ainsi pu établir, sur la base d’analyses cartographiques que notre niveau d’analyse (NUTS 3 –pour Eurostat) permet une meilleure lecture des dynamiques et des besoins locaux en faisant ressortir les contrastes de développement et de vulnérabilités.
Au fur et à mesure des chocs subis et des actions de réparation engagées, les collectivités territoriales doivent avoir davantage la capacité d’anticiper, de réagir, et de s’adapter à ces chocs et ces perturbations, afin d’en limiter l’impact.
Plusieurs enjeux se posent à nos collectivités :
● Nos collectivités territoriales sont en première ligne et en appui des communes doivent être en mesure de concevoir et de mettre en œuvre des politiques de réparation et de soutien aux territoires et aux populations.
● La résilience doit être ancrée territorialement et mobiliser une gouvernance à plusieurs niveaux.
● Nous devons être en capacité d’adopter une vision à plus long terme, qui intègre le risque et s’appuie sur les réalités et les potentialités locales.
● Il devient primordial de bien identifier les disparités et les besoins sur un territoire, afin de mieux cibler la mise en œuvre des politiques publiques
Q4 -Les autorités de ces niveaux ont-elles la taille adéquate pour assurer à la fois la proximité avec les citoyens et la masse critique leur permettant d’accomplir leur mission ?
Que faire si ce n’est pas le cas ?
Les PLI appliquent le principe de subsidiarité.
Les communes manquent de ressources financières et administratives pour mener à bien certaines tâches particulièrement coûteuses et techniquement compliqués.
Ce sont alors ces tâches qui incombent au niveau du Département/Province.
Les PLI ont une dimension géographique et démographiques qui leur permet de mettre en œuvre des Politiques territorialisées avec une approche ni trop particulière, comme c’est le cas au niveau municipal, ni trop générale, éloignée des besoins des territoires, comme c’est le cas au niveau régional ou national.
Leur intervention permet de développer la coopération entre les zones rurales et urbaines.
Elles contribuent également à la programmation et à la gestion de la politique de cohésion de l’Union Européenne.
Elles interviennent de plus en plus selon le principe du partenariat et s’attachent à développer des pratiques participatives pour la mise en œuvre de politiques structurantes sur un territoire.
Leur niveau d’intervention permet cela.
Je n’ai pas d’exemple où cela n’est pas le cas.
Par contre j’ai beaucoup d’exemples où elles sont progressivement empêchées d’agir, notamment par la diminution drastique de leur ressources conjuguée à l’augmentation des missions qui leurs sont confiées.
Q5 -Quels exemples de bonnes pratiques ont été identifiés et partagés concernant le statut, le rôle et la gouvernance des autorités intermédiaires dans les pays dotés de trois niveaux de gouvernement infranational ?
Je souhaite vous faire part d’une bonne pratique qui est mise en œuvre actuellement, sur 2024-2025.
Elle concerne dix collectivités intermédiaires issues de six Etats Membres de l’UE sont territoires d’étude : France, Espagne, Italie, Roumanie, Allemagne et Pologne qui ont décidé de travailler ensemble pour améliorer leurs politiques locales.
Sur cette base, ESPON accompagne la CEPLI, depuis octobre 2024, sur une étude/action intitulée : « ResiLIEnce : Améliorer la préparation aux crises et la résilience territoriale des Pouvoirs locaux intermédiaires » (PLI).
Il nous semble que l’enjeu aujourd’hui est de conforter la capacité des PLI à mettre en œuvre des politiques qui répondent à ces nouveaux défis, ainsi que de leur donner les moyens de le faire.
Nous pensons que c’est de cela que nos concitoyens ont besoin pour l’avenir…