L’Observatoire de la Santé de la Province de Hainaut a souhaité mener une analyse de l’impact de la crise sanitaire sur les inégalités sociales de santé et sur la quantité et la qualité du lien social. Cette analyse a donné lieu à deux publications : « Quand le masque tombe » et « Lien social et santé », téléchargeables sur le site de l’Observatoire de la Santé du Hainaut[1]. En voici les éléments majeurs !
Le monde entier vient de connaître une crise sanitaire rarissime suite à la pandémie liée au virus du Covid-19. Si la contamination semble n’épargner personne, certaines catégories de population en sont plus affectées. Les chiffres indiquent, en effet, une vulnérabilité à la contamination plus importante dans la population plus âgée, avec des complications nettement plus graves chez la majorité d’entre elles. Les données disponibles indiquent également une mortalité plus importante chez les hommes en comparaison aux personnes de sexe féminin, alors que la répartition des cas confirmés montre une surreprésentation féminine.
Des mesures drastiques ont été prises sur le plan national et international pour diminuer, voire enrayer, la pandémie par la contamination de personne à personne. Parmi ces mesures, la réduction des contacts entre individus en privilégiant le maintien à domicile et le respect d’une distanciation physique en cas de nécessité de relations humaines. Ce confinement a eu un retentissement très différent selon les genres et les classes sociales.
L’impact s’est d’abord manifesté dans le respect des règles de confinement. Les conditions de vie comme l’habitat, les revenus, les relations sociales influencent la façon dont les personnes sont en capacité d’adopter les mesures barrières pour limiter les risques de contamination. Tout le monde n’est pas égal face à l’acquisition de masques ou de gel hydro alcoolique tout comme il n’est pas possible de permettre l’isolement (parfois entre plusieurs générations) au sein de certaines familles en raison de l’exiguïté de certains logements.
Ensuite, l’analyse des risques de complication en cas d’infection diffère en fonction du statut socioéconomique des personnes. Les études épidémiologiques ont mis en évidence l’importance de maladies préexistantes, souvent chroniques, qui sont inégalement réparties dans la population. Le diabète, l’obésité, le tabagisme, l’hypertension artérielle, les antécédents cardiovasculaires sont plus présents dans les populations les plus vulnérables socialement et chez les personnes plus âgées.
Par ailleurs, la densité de population est plus forte dans les quartiers plus inégalitaires, accroissant le risque de contamination. La qualité de l’air est généralement plus mauvaise dans les habitats de ces quartiers où se concentrent plus de maladies respiratoires comme l’asthme ou d’autres maladies comme certains cancers qui sont associés à la qualité de l’environnement.
L’accessibilité aux services de santé durant la période de confinement a été réduite également tant au niveau de l’offre de soins de santé (fermeture de certains services spécialisés en milieu hospitalier par exemple) que dans ses moyens d’accès avec les restrictions des moyens de transport, mais également la crainte d’être contaminé en milieu hospitalier. Certains patients malades chroniques ont ainsi vu leur suivi médical interrompu.
Enfin, si la majorité des cadres et des employés ont pu bénéficier du télétravail, certains emplois comme les caissières dans les grandes surfaces, les éboueurs, le personnel d’entretien, les aides ménagères ainsi que le personnel soignant ont été surexposés au risque de contamination et en ont payé un lourd tribut en termes de mortalité notamment.
Les difficultés rencontrées par certains groupes plus vulnérables à respecter les consignes de prévention et de protection contre la transmission du virus ont également engendré moralisation et stigmatisation en leur assignant la culpabilité de la prise de risque. Or l’imputabilité du risque n’est pas qu’une question de responsabilité individuelle. Dans le contexte de cette crise, un exemple a bien illustré la différence entre les niveaux de responsabilité individuelle et collective : l’obligation du port du masque dans les transports en commun a été imposée pour tous les utilisateurs pour réduire le risque de contaminer ou d’être contaminé, alors que, dans le même temps, l’Etat était dans l’impossibilité d’offrir à chacun le masque promis. La sanction du non-respect du port du masque incombait à l’individu alors que la responsabilité de l’absence du masque incombait à l’Etat.
Un phénomène social à part entière
Mais la pandémie due au virus du Covid-19 n’est pas qu’un problème de santé publique. Elle est également un phénomène social à part entière.
En effet, les mesures de confinement et l’imposition de la distanciation ainsi que le port du masque viennent bousculer nos habitudes de vie, nos besoins d’interactions, d’échanges entre humains. Cette crise a altéré nos liens sociaux qui agissent également comme facteurs de protection de notre santé. En situation de crise, ces liens sociaux permettent non seulement de réduire l’impact de l’évènement, mais offrent également des capacités adaptatives plus rapides et plus efficaces. Ces capacités sont identifiées comme résilience individuelle et collective.
Or, la crise a fragilisé le lien social en prônant l’isolement relationnel, et plus particulièrement pour les populations les plus vulnérables. Les études sociologiques ont montré l’existence d’un gradient social du lien social et mis en évidence que les personnes qui devraient en être les plus grands bénéficiaires en sont en fait les plus démunis ou exclus.
La fermeture des écoles et des lieux de sports et de loisirs a perturbé les habitudes de vie des enfants, qui, pour les moins chanceux, ont été confrontés à la monotonie, à l’ennui, à l’isolement et parfois aux violences intrafamiliales. De nombreux enfants bénéficiant de repas gratuits à l’école ont vu leur alimentation changer, les enfants issus de familles défavorisées n’ont pu bénéficier d’un encadrement de qualité dans l’enseignement à distance (ne serait-ce que par la non maîtrise de la langue par les parents ou l’inaccessibilité aux portails d’apprentissage numérique), certains enfants sont restés confinés dans des espaces très réduits et ont perçu cette situation comme une punition… Force est de constater que la situation de confinement a réduit, de manière importante, le monde de l’enfant, tant physique que relationnel. Un tel contexte limite le nombre de stimulations suscitées dans le cadre de ses relations et de ses différents environnements ou milieux de vie. Or, la socialisation d’un enfant dépend fortement du nombre et de la qualité de ces environnements.
L’isolement social n’a pas épargné les personnes âgées. Or, la solitude est un facteur de risque important sur la détérioration de l’état de santé : elle augmente par quatre le risque d’épisode dépressif caractérisé, par deux la détresse psychologique et par cinq les pensées suicidaires. De plus, la peur de contracter le coronavirus, la déconnexion sociale, l’isolement résultant du confinement et d’autres mesures de distanciation physique ont eu pour conséquence involontaire d’induire ou d’amplifier la solitude, la peur et la panique chez les personnes âgées. La crise sanitaire nous a isolés physiquement, mais la majorité des personnes vivent ce confinement ensemble. Par contre, les personnes isolées socialement ressentent cet éloignement comme une véritable épreuve.
Alors que la pandémie présente une évolution relativement optimiste, il est probable que des inégalités de santé vont s’amplifier par la crise économique qu’elle a induite. Les décideurs politiques et les responsables de la santé doivent commencer à planifier, dès maintenant, leurs priorités et leurs actions pour atténuer l’impact disproportionné de cette pandémie sur les populations les plus vulnérables.
[1] https://observatoiresante.hainaut.be/categorie-produit/inegalites-sociales-de-sante-2/courtage-scientifique/