Règlement général de la comptabilité provinciale

En date du 30 octobre 2020, l’APW rendait son avis au Ministre Christophe Collignon concernant l’avant-projet d’arrêté du Gouvernement wallon modifiant l’arrêté royal du 2 juin 1999 portant le règlement général de la comptabilité provinciale.

RÉFORME DE LA COMPTABILITÉ PROVINCIALE

La mesure phare de cet avant-projet réside dans le regroupement en un « exercice en cours » de toutes les recettes et dépenses en un service ordinaire et extraordinaire, et donc en une fusion de l’exercice propre et des exercices antérieurs.

Tout d’abord, l’Association des Provinces wallonnes s’étonne des motivations très brèves qui soutiennent cet avant-projet. En effet, une telle réforme appelle davantage de réflexions sur ses contours et son objectif final.

Il faut rappeler que les Provinces ont été amenées, pour les années 2020 et 2021, à adopter hâtivement des mesures fortes, dites « one shot », afin de pallier la reprise du financement des zones de secours.

Il avait été convenu que ces mesures soient accompagnées d’une profonde réforme de la comptabilité provinciale, présentée lors des réunions des groupes techniques comme l’une des principales pistes pour venir en aide aux Provinces.

Il apparaît, néanmoins, que cette proposition s’apparente à une solution temporaire (vider de sa substance les éventuelles réserves) et ne rencontre aucunement l’objectif d’apporter des mesures structurelles.

Si l’APW juge la proposition de la Région intéressante et est ouverte à la discussion, nous ne pouvons donc que constater que cette modification pourrait avoir des effets pervers. Il ne s’agit, ici, que d’une solution provisoire qui ne doit, en aucun cas, freiner les réflexions autour de la recherche de véritables mesures structurelles et durables.

Force est également de constater que cette proposition va à l’encontre des mesures prises antérieurement par la Tutelle en termes d’équilibre budgétaire à l’exercice propre. Ces dernières années, la Région a, en effet, érigé l’équilibre budgétaire à l’exercice propre comme une obligation, symbolisant une saine gestion et assortie de mesures en cas de déficit. Il s’agit donc ici incontestablement d’une marche arrière radicale dans l’identification des équilibres respectifs.

Il est, d’ailleurs, important d’insister sur le fait que le système utilisé dans les pouvoirs locaux (antérieur, propre, global), et plus spécifiquement au niveau provincial, a montré ses preuves quant à la poursuite d’une saine gestion financière basée sur la recherche de l’équilibre et la transparence.

Le danger d’un seul « exercice en cours » serait, à travers une première lecture positive du résultat, de créer un équilibre de façade et de masquer un résultat de l’exercice civil en cours négatif. Malgré une situation « améliorée artificiellement », le risque de dégradation rapide du résultat global est donc réel, sans parler de difficultés de trésorerie éventuellement associées.

A l’heure actuelle, cette modification s’apparente donc à un ballon d’oxygène de court terme pour assumer la reprise des zones de secours avant de retrouver les Provinces exsangues financièrement.

La Région ne devrait-elle donc pas proposer des mesures ponctuelles pour faire face à une situation tout aussi ponctuelle, tout en continuer à plancher, avec l’ensemble des acteurs concernés, sur des solutions structurelles permettant aux Provinces de préparer l’avenir de manière plus sereine ?

Ensuite, la possibilité de pouvoir réintégrer les fonds indisponibles paraît peu cohérente et pourrait provoquer de sérieux dérapages budgétaires.

De plus, la Région devra se positionner sur la nature de cette disposition : peut-elle se limiter à la présentation des récapitulatifs budgétaires ou nécessite-t-elle une adaptation de l’outil comptable ?

Enfin, au niveau de la syntaxe, à l’article 6 du projet, on peut lire deux fois « … éventuellement individualisés au niveau du code fonctionnel… ». Ne faut-il pas lire « … au niveau du code économique… » ?

AUDIT DE LA COUR DES COMPTES 

Statut du receveur spécial

  1. La modification de l’article 1, 11° va permettre aux fonctionnaires provinciaux désignés par le Collège d’établir légalement les droits à recette, répondant à la demande de la Cour d’officialiser ce rôle.

Toutefois, le RGCP au point 18 du même article définit le fonctionnaire provincial comme un agent statutaire de la Province.

Dès lors, le personnel enseignant et contractuel ne pourrait pas être désigné en qualité d’ordonnateur de recettes.

L’APW juge donc cette mesure inadéquate dans la situation actuelle des pouvoirs locaux.

  1. Les § 2 et § 6 de l’article 43 relatifs à la description et la définition du modèle du registre des droits constatés n’ont pas été revus.

Or, dans ses recommandations, la Cour invitait le GW à établir clairement ce modèle de registre des droits constatés.

Ainsi, la description de ce dernier n’est pas claire et difficilement adaptable à la réalité de terrain, notamment l’ambiguïté des points 7 et 9 relatifs aux recouvrements effectués et à la date à laquelle le droit constaté a été perçu.

Qu’en est-il des paiements partiels ? Ceux-ci sont très fréquents et il paraît difficile de faire figurer en vis-à-vis de chaque droit toutes les dates de perception éventuelles.

Il en va de même pour les droits irrécouvrables ou portés en non-valeur (annulations) qui ne portent fréquemment que sur une partie du droit.

Par contre, il n’intègre pas la comptabilisation des erreurs matérielles, qui sont régulières.

Ce registre devrait s’apparenter à un facturier ou journal des ventes et ne devrait donc pas reprendre les recouvrements et annulations. Ces opérations spécifiques devraient faire l’objet de documents distincts.

  1. Le §4 prévoit que « l’inscription au registre des droits constatés de l’établissement ou du service intéressé résulte de l’apposition, sur les pièces justificatives, du numéro du droit constaté, de l’exercice budgétaire et de l’article budgétaire. »

Cette norme paraît induire, pour les receveurs spéciaux, une lourdeur administrative difficilement applicable pour des services ayant un nombre de documents probants conséquent (par exemple, les droits d’inscription dans les établissements d’enseignement et de formation).

En ce qui concerne les recettes en espèces, le projet reste évasif sur le cadre normatif de leur perception, le délai pour les verser sur le compte financier (qui constitue un risque réel) ainsi que le montant maximum détenu.

Par analogie, pour cette dernière question, la loi du 29 octobre 1846 relative à l’organisation de la Cour des Comptes prévoit, en cas de déficit (vol, perte…), que le receveur spécial doit être cité en remboursement par le Collège devant la Cour des Comptes sauf en cas de force majeure ou d’un débit inférieur à 1.250 EUR (fixé par l’AR du 13 juillet 2001).

En effet, l’article 43 §7 prévoit à leur sujet « Toutes les recettes au comptant doivent être versées dès que possible sur le compte financier du receveur spécial. Les recettes perçues par le receveur spécial ne peuvent pas être utilisées pour le paiement des dépenses. »

De plus, pour des raisons pratiques justifiées (plusieurs sites, activités pédagogiques organisées dans différents ateliers et plusieurs professeurs…), la perception des recettes au comptant est souvent confiée à des agents qui ne sont ni habilités par la loi ni par l’autorité administrative.

Dans le cadre de ses recommandations reprises dans son rapport d’audit des recettes décentralisées, la Cour insiste sur la nécessité d’encadrer, par des désignations administratives officielles, la gestion des recettes au comptant.

A ce titre, ne pourrait-on pas envisager une fonction de « caissier » et de circonscrire réglementairement leurs responsabilités ?

  1. Pour répondre aux recommandations de la Cour, en cas d’absence de courte durée du receveur spécial et afin de garantir la continuité de la gestion comptable des recettes locales, il serait utile de prévoir un cadre légal permettant de désigner officiellement, par le Conseil provincial, un receveur suppléant/ad intérim assumant les responsabilités du receveur titulaire.

 

  1. Au §2 de l’article 49, la date limite pour transmettre à la Cour les comptes décentralisés vérifiés, contrôlés et approuvés par le Collège est passée du 30 juin au 30 avril de l’année suivante.

Dans l’état actuel de l’organisation de certaines Provinces et des ressources dont elles disposent, ce nouveau délai réduit de 2 mois paraît irréaliste. Il convient de tenir compte des réalités de terrain.

  1. En ce qui concerne la réforme de l’article 50, ce dernier fait référence, pour les actions judiciaires en recouvrement, à l’article L2224-4 du CDLD qui prévoit que « Le Conseil provincial autorise les actions en justice relatives aux biens de la Province, soit en demandant, soit en défendant, sans préjudice de ce qui est statué aux articles L2212-48et L2224-5. »

Ce dernier ne devrait-il pas être la référence en la matière puisqu’il prévoit que « Le Collège provincial peut défendre en justice à toute action intentée contre la Province; il peut intenter les actions qui ont pour objet des biens meubles, ainsi les actions possessoires, et faire tous actes conservatoires; il nomme les conseils de la Province et les mandataires chargés de la représenter devant les tribunaux. Les actions en justice de la Province, en demandant ou en défendant, décidées par le Collège provincial, sont exercées, au nom de celui-ci, par son président » ?

  1. Enfin, l’APW regrette que rien ne soit prévu dans cette réforme sur les incompatibilités de fonction dans la définition des rôles d’ordonnateur ou de receveur (avec la fonction de comptable d’avances de fonds par exemple).

PISTES DE RÉFLEXION NON ABORDÉES

La Région a récemment proposé aux Villes et Communes des règles d’assouplissement budgétaire pour les aider à faire face à la crise sanitaire du COVID.

Les Provinces, également impactées financièrement par la crise et lourdement sollicitées pour le financement des zones de secours, devraient également pouvoir profiter de mesures similaires.

Ainsi, exiger temporairement l’équilibre à l’exercice global et tolérer un déficit à l’exercice propre, tout en autorisant le rapatriement des réserves aux exercices antérieurs reviendrait à atteindre l’objectif avoué de cet avant-projet de décret, tout en préservant des techniques comptables intégrées et admises depuis 20 ans tant par les fonctionnaires que par les mandataires locaux.

L’APW demande donc qu’un déficit à l’exercice propre soit autorisé aux Provinces, pendant un temps limité, permettant de mettre en place des solutions de financement (ou d’économie) durables.

Certaines dispositions non mentionnées dans cet avant-projet de décret pourraient également être envisagées et discutées, parmi lesquelles :

  • pouvoir de signature du compte de gestion, remplacement temporaire encadré règlementairement ;
  • situation de la règlementation inexistante en matière de dépenses d’avances de fonds ;
  • crédits limitatifs concernant les non-valeurs, qui rendent compte de la situation comptable réelle.

CONCLUSIONS

Suivant les motivations de cet avant-projet de décret, la volonté de la Région est de venir en aide aux Provinces dans le cadre de la reprise du financement des zones de secours. Il est impératif de décider de mesures structurelles au niveau du financement de l’Institution qui devront produire leurs effets pour dégager des économies croissantes permettant d’assurer le financement des zones de secours également croissant jusque 2024.

Il ressort de l’analyse de cet avant-projet que les implications comptables de ce texte sont pas anodines : mise à mal des principes budgétaires d’annualité et de spécialité, règles d’imputations, reports de crédits. Ces modifications engendreront donc des coûts pour les finances provinciales qui seront amenées, par conséquent, à adapter leur système comptable.

L’APW demande que la Région envisage des mesures dérogatoires temporaires, proportionnées et adaptées à leur objectif, sans adopter de changement au niveau des millésimes budgétaires, dans une relative précipitation.

Enfin, afin d’assurer et de garantir une cohérence des pouvoirs locaux wallons, il est important qu’une telle réforme soit concertée avec les Communes.

Pour conclure, toutes ces considérations ne signifient nullement que les règlements généraux (aussi bien pour les Provinces que pour les Communes) ne doivent pas être remis en chantier, chantier sur lequel l’APW est prête à collaborer activement.