Cadre stratégique pour une politique de la ville en Wallonie – Avis de l’APW

En juillet 2016, l’APW a remis un avis au Ministre des Pouvoirs locaux sur le projet de cadre stratégique pour une politique de la ville en Wallonie. Le voici.

L’Association des Provinces wallonnes tient, préalablement, à remercier Monsieur le Ministre et son Cabinet d’avoir bien voulu présenter les éléments principaux de la note d’orientation du Gouvernement wallon et du cadre stratégique consacrés à sa politique urbaine lors d’une réunion d’information qui s’est tenue à l’APW le 10 juin 2016.

Observation générales

Les provinces jugent la démarche visant à doter la Wallonie d’un cadre de référence pour la politique de la ville pertinente. Elles partagent les objectifs proposés et adhèrent à la volonté d’encourager les villes à élaborer des Programmes de Développement Urbains (PDU) et à devenir les polarisateurs de l’essor de la Wallonie.

Elles notent, toutefois, que la question de la régénération du territoire et des centralités ne se limite pas aux douze pôles urbains retenus par le Gouvernement wallon comme pouvant participer au processus de définition d’un PDU.

Ni la note d’orientation, ni le cadre stratégique ne font référence à une définition de ce qu’est une ville en Wallonie, qui pourrait justifier le choix des entités communales qui pourront poser leur candidature pour l’élaboration de ces plans.

Le concept de « fabrique urbaine plurielle » dans une approche transversale et intégrée a tout son sens mais son impact risque d’être limité sur l’ensemble du territoire wallon, majoritairement à caractère rural et semi-rural. L’ensemble des villes ou bourgs ruraux qui pratiquent la régénération urbaine et territoriale doivent être soutenus par les moyens financiers et techniques adéquats.

La Province du Brabant wallon regrette, tout particulièrement, qu’aucune ville ou commune de son territoire ne soit éligible alors que les enjeux en termes de développement urbain sont bien présents dans certaines grandes zones urbaines comme Wavre/Ottignies/Louvain-la-Neuve/Mont-Saint-Guibert/Court-Saint-Etienne (80 000 habitants) ou Braine-l’Alleud (75 000 habitants).

Il serait, dès lors, hautement souhaitable que toutes les communes répondant à des critères précis d’éligibilité puissent poser leur candidature afin de veiller à une parfaite objectivité et cohérence de la démarche.

Les provinces soulignent que les objectifs repris dans le cadre stratégique, bien qu’intéressants, restent des objectifs généraux qui peuvent s’appliquer à l’ensemble des politiques de la ville en Europe. Il est malaisé d’y distinguer la relation entre les thèmes du cadre stratégique et les défis des villes wallonnes.

On n’y fixe pas d’objectifs précis à atteindre, ce qui laisse un large champ d’action aux communes. Cela peut apparaître comme un élément positif pour leur permettre de s’adapter aux réalités locales mais constitue un risque d’éparpillement des moyens et des actions avec, en conséquence, une plus faible efficience.

Quant à l’échelle retenue

L’échelle d’analyse retenue pour le Programme de Développement Urbain est celle des limites administratives de la ville. Or, le projet de cadre stratégique pointe, à plusieurs reprises, la nécessité d’étendre l’échelle d’analyse et d’actions.

En effet, les villes souffrent de désurbanisation dont les causes et conséquences ne peuvent s’appréhender qu’à l’échelle d’un grand territoire. C’est pourquoi les provinces estiment que l’avenir des villes ne peut s’envisager sans un dialogue structuré avec les territoires périphériques et, en particulier, sur les problématiques liées à l’étalement urbain, la mobilité, la production énergétique, la formation et l’emploi, la culture,…

Il est donc primordial que les villes dialoguent avec leur hinterland pour la co-construction de leur Programme de Développement Urbain.

De plus, les villes fonctionnent souvent dans des logiques d’agglomération. Il serait pertinent de laisser la possibilité aux villes de construire leur PDU à cette échelle.

Restreindre les PDU aux limites administratives d’une commune, sans dimension supralocale, est trop restrictif et peu mobilisateur. Ce principe entre en contradiction avec les recommandations européennes en matière de gouvernance, contenues dans le cadre stratégique lui-même, qui établissent, comme premier principe, celui de penser la ville dans un contexte spatial et temporel plus large.

Cela va également à l’encontre d’autres dispositifs décrétaux qui se conçoivent dans une dynamique de décloisonnement avec les populations, les acteurs institutionnels et associatifs d’un territoire (reconnaissance des centres culturels, par exemple).

Une approche pluricommunale ou supracommunale permettrait de mutualiser les ressources et d’éviter la dilution des moyens, notamment lorsqu’il s’agit d’investir dans la création ou l’aménagement d’infrastructures culturelles, sportives, de mobilité douce, notamment.

Interaction avec d’autres documents de planification

Le Programme de Développement Urbain est annoncé comme devant devenir un chapitre du Plan Stratégique Transversal. Il existe, au niveau communal, provincial ou même régional, encore d’autres outils de planification du territoire qui seront amenés à coexister (le SDER en cours d’actualisation, le nouveau Code de Développement Territorial et ses schémas de développement pluricommunal et schéma de développement territorial,…).

Pour favoriser les analyses multi-scalaires et dans un souci de transversalité, il importe que ces différents plans constituent un tout cohérent et tiennent compte des interactions qui peuvent exister entre eux.

Ce n’est qu’avec cette approche qu’il sera possible de lutter efficacement contre les moteurs de la désurbanisation et d’éviter les concurrences stériles entre les villes.

Il faut également regretter que l’enjeu des dimensions commerciales et de leur dilution sur le territoire ne soient pas repris dans le document. En effet, elles font partie intégrante de la dynamique urbaine et des liens avec le schéma de développement commercial devront être tissés.

Par ailleurs, il est important de souligner que plusieurs provinces sont engagées dans des processus de planification territoriale (« Destination 2040 » pour la Province de Liège avec l’Asbl Liège Europe Métropole, Plan provincial de mobilité du Brabant wallon, groupes de travail mobilité et aménagement du territoire de la Conférence luxembourgeoise des élus,…).

La régénération des territoires provinciaux est au cœur de ces démarches dont l’assise provinciale permettra d’établir une stratégie de régénération solidaire, complémentaire et intégrée entre les territoires urbains, périurbains et ruraux.

Fortes de ces expériences très positives, les provinces wallonnes estiment pouvoir revendiquer d’être dotées de compétences leur permettant de jouer un rôle prépondérant dans la construction et le développement d’une vision stratégique à l’échelon de leur territoire.

Implication des provinces dans les objectifs prioritaires pour la ville wallonne de demain et les recommandations européennes en matière de gouvernance

Le projet de cadre stratégique pour une politique de la ville en Wallonie contient quatorze objectifs prioritaires pour la ville wallonne de demain et reprend les dix recommandations européennes en matière de gouvernance (Charte de Leipzig en 2007).

Il fait également référence au concept de « fabrique urbaine », qui associe les différents intervenants de la politique de la ville (élus locaux, services communaux responsables de la stratégie urbaine, acteurs privés et associatifs, Région, province, citoyens et autres usagers de la ville) dans une approche transversale permettant de mobiliser les acteurs du développement urbain.

En tant que pouvoir de proximité et de supracommunalité, les provinces participent, accompagnent celui-ci et concrétisent leur soutien à la régénération de leur territoire par la mise en œuvre de politiques concrètes en matières économiques, sociales, environnementales, culturelles, d’enseignement et formation ou de bien-être.

En effet, aucun objectif stratégique ne peut être vu de manière isolée. Les objectifs d’attractivité, de cohésion sociale, de qualité du logement, de cadre de vie, de qualité environnementale, de mobilité, de créativité, de redéploiement économique ou de santé sont interdépendants.

Objectifs prioritaires pour la ville wallonne de demain

Les provinces se retrouvent aisément dans les différents objectifs prioritaires énoncés pour la politique de la ville en Wallonie et y mènent déjà des actions concrètes dans le domaine culturel, du soutien aux pouvoirs locaux pour les aménagements urbains et espaces verts (objectif 1), du soutien à l’activité économique locale (objectif 6), des actions sur les modes de vie et les cadres de vie pour promouvoir la santé en ville et réduire les inégalités sociales de santé (objectif 14),…

Elles souhaitent émettre une considération particulière en ce qui concerne l’axe 6 : « faire des villes des moteurs de redéploiement économique », qui représente un enjeu primordial pour l’emploi et l’attractivité du territoire.

Le cadre stratégique ne fait référence qu’à l’économie présentielle et l’agriculture urbaine. Le rôle spécifique de place tertiaire de la ville est à peine évoqué.

Or, les grandes villes doivent attirer des activités tertiaires supérieures. Elles doivent être en mesure d’offrir des espaces et des services haut de gamme et d’assurer une connectivité optimale au reste du monde (TGV, aéroport). Ces éléments se doivent d’être abordés dans le point n°6 du cadre stratégique.

Recommandations européennes en matière de gouvernance

L’Association des Provinces wallonnes note, avec satisfaction, que les recommandations européennes en matière de gouvernance reprises dans le cadre de la politique européenne de la ville constituent le socle d’un argumentaire en faveur du rôle des provinces dans la politique wallonne de la ville.

La province permet à la fois de « penser la ville dans un contexte spatial et temporel plus large » (principe 1), de « garantir la transparence et la responsabilité » (principe 10) et de « travailler en transdisciplinaire et construire une culture commune » (principe 3).

La province, en tant que pouvoir local intermédiaire, couvre un territoire plus large que la ville, rend compte directement aux citoyens et propose toutes les composantes d’un développement territorial durable sur les plans économique, environnemental et social (enseignement, formation, culture, tourisme, action sociale, santé, agriculture, environnement, action économique,…).

La province contribue à construire, avec tous les acteurs, une politique de la ville partagée sur son territoire (« engager tous les acteurs de la co-construction » principe 2, « assurer la coordination horizontale et verticale » principe 4 et 5) au moyen de différentes démarches culturelles, sociales. Elle possède, enfin, des outils de développement territorial (systèmes d’information stratégique) qui peuvent être mis au service de la politique de la ville (« améliorer le montage de projet » principe 6, « créer de la valeur ajoutée aux outils existants » principe 7, « soutenir l’apprentissage collectif et la capitalisation des connaissances » principe 8 et « organiser un monitoring » principe 9).

Par ailleurs, les provinces sont associées, lorsqu’elles n’en sont pas à l’origine, à la gestion politique et administrative des structures de supracommunalité mises en place avec les communes de leur territoire (le Conseil 27+1, la WAPI, le Cœur de Hainaut, Charleroi – Sud Hainaut, Liège Europe Métropole, la Conférence Luxembourgeoise des Elus et le Forum namurois des élus).

Avec les provinces, ces organes de supracommunalité ont un rôle à jouer dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de la ville en Wallonie et ils devraient être renforcés pour disposer des compétences nécessaires à l’élaboration de démarches stratégiques à l’échelle territoriale provinciale.

Questions particulière pour la mise en œuvre du cadre stratégique

Le cadre stratégique pour une politique de la ville en Wallonie développe un certain nombre d’objectifs qui restent, à ce stade, fort généraux. Pour être pleinement opérationnels, ceux-ci devront être précisés, quantifiés et évalués.

Le texte, tel que soumis à l’avis de l’Association des Provinces wallonnes, suscite, dès lors, une série de questionnements bien précis qui devront être évoqués lors de la mise en œuvre progressive des Programmes de Développement Urbain :

  • La dimension transversale et transdisciplinaire du PDU couvre des domaines très variés, eux-mêmes régis par d’autres dispositifs légaux. Tous ces dispositifs, y compris le PDU, prévoient l’élaboration d’un diagnostic partagé et d’une co-construction avec les parties prenantes.

Ne serait-il pas opportun d’établir un seul diagnostic préalable au PST et qui couvrirait tous les domaines d’action plutôt que de multiplier les types de diagnostics, d’autant que peu de communes sont outillées en la matière ?

  • Quels mécanismes financiers sont prévus pour définir les enveloppes des PDU et quels seront les critères que l’Administration wallonne utilisera pour les valider et en garantir la cohérence ?
  • Comment s’articuleront les modes de financement du PDU avec ceux du futur Fonds wallon de Cohésion sociale ?
  • Quelle intégration des futurs PDU pourra être réalisée avec les projets de territoire actuels à l’échelle de l’agglomération (voire, le cas échéant, à plus grande échelle) déjà entrepris sur le territoire des provinces. Ne risque-t-on pas une dilution des actions, des projets et des moyens avec, pour effets, la perte de cohérence et d’efficience ?
  • Il serait opportun de limiter dans le temps la phase de diagnostic et de définir plus précisément les processus d’évaluation intermédiaire et finale des projets du PDU. Ces processus ne feront que faciliter, in fine, le contrôle à postériori par l’Administration wallonne.

De même, le rôle d’accompagnateur de la COSTRA devrait être précisé.

  • Le PDU sera lancé via un appel à candidature auprès des douze pôles urbains Feder, dans un premier temps, puis se verra généralisé.

Quelles seront les conditions d’éligibilité et d’octroi pour obtenir cette contractualisation avec la Région wallonne ? Quand cet appel sera-t-il lancé ? Envisage-t-on une mise en cohérence de critères avec d’autres plans actuels ou futurs (par exemple, les PCS et le futur Fonds régional de Cohésion sociale) ?

Qu’en sera-t-il de l’accompagnement des villes petites et moyennes qui ne sont pas concernées par l’appel ? Quel appui est prévu en milieu rural pour couvrir les enjeux liés à l’agriculture et aux autres aspects du cadre de vie propre à l’extérieur des villes ?

  • L’ouverture à de nouvelles pratiques de cofinancement et le renforcement de la contractualisation participent au renforcement de l’autonomie communale et à la reconnaissance de son rôle d’acteur de proximité mais nécessitent le développement de nouvelles compétences au sein des communes. Celles-ci seront-elles éligibles en termes de dépenses ?
  • La Région annonce un package d’outils urbains. Leur élaboration devrait être réalisée en concertation avec les acteurs de terrain et donc avec les futurs utilisateurs. Ne faut-il pas mettre en place un groupe de travail pour ce faire ?
  • Qu’en sera-t-il des reconnaissances des autres structures locales de développement territorial comme les GAL, les ADL et autres ?
  • Comment ce cadre stratégique du PDU va-t-il s’articuler avec les plans stratégiques territoriaux dans lesquels les provinces et communes sont parties prenantes ?
  • Qu’en sera-t-il des problèmes de transversalité éventuels qui pourraient subvenir par le chevauchement des zones territoriales sur plusieurs provinces ? Ce questionnement sur les découpages territoriaux se pose dans divers domaines tels que les bassins EFE, bassins sanitaires,…
  • Pour ce qui concerne les missions touristiques, le cadre stratégique tel qu’envisagé actuellement pour la politique de la ville en Wallonie et ses 14 objectifs ne semble pas considérer les activités touristiques comme un élément moteur mais plutôt comme un corollaire de l’ensemble de la politique des grandes Villes.
  • Quant aux rôles que peuvent exercer les provinces dans ces PDU, de par la connaissance qu’elles ont de leurs territoires et de leurs acteurs, de par leurs expertises et domaines de compétences, elles peuvent :
  • Assurer l’encadrement et l’aide méthodologique à la réalisation du diagnostic ;
  • être un partenaire privilégié des communes dans la mise en œuvre du plan d’actions au sein du COPIL et dans le respect des principes de gouvernance ;
  • être partie prenante, voire co-financeur de certaines actions en adéquation avec leurs compétences propres que couvrent les quatorze objectifs.

Conclusions

Pour conclure cet avis, je souhaite revenir sur les questions et remarques qui paraissent essentielles pour les provinces :

  • Le cadre stratégique pour une politique de la ville en Wallonie énonce un certain nombre de principes généraux auxquels les provinces adhèrent pleinement, comme à l’idée que les villes doivent poursuivre leur essor, avec le soutien d’autres acteurs de la politique urbaine, pour assurer le développement de l’ensemble du territoire wallon.

Dans cette dynamique de « fabrique urbaine », chaque opérateur, dans le respect de ses compétences propres, doit contribuer à la régénération des territoires urbains pour les rendre plus attractifs, solidaires et respectueux du développement durable.

  • L’Association des Provinces wallonnes regrette que l’outil essentiel qui servira à concrétiser la politique de la ville en Wallonie, le Programme de Développement Urbain, ne soit applicable qu’aux limites administratives de la ville, sans possibilité de conclure des PDU pluricommunaux.

Elle juge que limiter l’appel à candidatures pour participer au processus de PDU aux seuls douze pôles urbains FEDER est trop restrictif et ne permet pas de rencontrer les réalités urbaines de l’ensemble du territoire wallon.

Elle déplore, notamment, qu’aucune ville ou commune du Brabant wallon ne soit reprise dans la liste des candidats possibles.

L’APW insiste pour que l’appel à manifestation d’intérêt soit généralisé à l’ensemble des communes wallonnes.

  • Alors que le Gouvernement wallon encourage les démarches de supracommunalité et que les villes se définissent en intégrant leur hinterland, il est regrettable qu’un tel outil de planification territoriale ne permette pas d’élaborer des stratégies de développement à une échelle plus large que celle de la ville uniquement.
  • Les provinces s’inquiètent également des liens et corrélations qui pourront être définis avec d’autres outils de planification (PST, Fonds de régional de cohésion sociale, plan de mobilité, SDER,…) pour assurer une cohérence générale au niveau régional.

Elles insistent également pour que le PDU puisse tenir compte des démarches de planification territoriale qui existent au niveau supracommunal et provincial.

Grâce à l’expérience et l’expertise acquise lors de la mise en œuvre de celles-ci, les provinces wallonnes estiment pouvoir revendiquer d’être dotées de compétences leur permettant de jouer un rôle prépondérant dans la construction et le développement d’une vision stratégique à l’échelon de leur territoire.

L’Association des Provinces wallonnes estime que la définition du cadre stratégique pour la politique de la ville en Wallonie constitue le début d’un processus important de concrétisation d’une nouvelle politique urbaine.

En raison des expériences déjà menées et de leur implication dans les différents axes de la politique de la ville, les provinces et l’APW tiennent à être associées aux prochaines étapes de ce processus afin de contribuer à la réalisation des objectifs fixés par le Gouvernement wallon.