Avant-projet de décret relatif au parcours d’éducation culturelle et artistique (PECA)

Le 19 mai dernier, l’APW a remis, à la Ministre Linard, son avis sur l’avant-projet de décret relatif au parcours d’éducation culturelle et artistique (PECA). Le voici…

Remarques générales

L’avant-projet de texte va s’inscrire à la croisée de deux champs importants de la société et nécessite, vu les impacts qu’il aura sur la vie des élèves et sur le travail tant des opérateurs que des établissements scolaires, d’être bien réfléchi et doté de moyens suffisants. Il nous apparaît donc qu’une large concertation doit être mise sur pied au travers d’un travail de réflexion sectorielle (avis concerté des consortiums d’opérateurs culturels, par exemple).

Le PECA poursuit l’objectif louable de créer davantage de ponts entre les opérateurs culturels/artistiques et l’enseignement en permettant à chaque élève – tout au long de son parcours scolaire – de rencontrer des artistes, de voir et comprendre des œuvres, d’expérimenter les arts et la culture à différents niveaux. Il constitue un des axes stratégiques du « Pacte pour un enseignement d’excellence » et est un levier qui permettra à l’élève de s’approprier des matières culturelles en vue de son épanouissement individuel.

Le principal challenge que devra relever le dispositif résidera cependant dans l’équilibre qu’il faudra trouver entre la demande culturelle et artistique des écoles, d’une part, et l’offre des opérateurs culturels et artistiques, d’autre part.

Tel qu’il est présenté, le dispositif de fonctionnement du PECA paraît, en outre, très complexe tant pour l’enseignement que pour la culture. Cette complexité institutionnelle, à couches multiples, pourrait constituer un frein à son appropriation par les principaux intervenants (écoles ou opérateurs culturels) qui devront le mettre en œuvre.

A cela s’ajoute la superposition, parfois très complexe des niveaux d’actions des différents acteurs concernés (communautaire, province, arrondissement, local) ainsi que des niveaux territoriaux d’action (arrondissement, local, quartier…).

Superposition parfois très complexe également des missions confiées aux différents acteurs (appels à projets, demandes d’analyses, demandes d’évaluations communautaires/par arrondissements/par thématiques…) ainsi que des mesures d’accompagnement mises en place. Il est nécessaire d’éviter un excès de technocratisation à tous niveaux.

D’expérience, les appels à projets concernent toujours les mêmes opérateurs ayant développé une certaine ingénierie dans la constitution de dossiers pouvant être retenus. Ce système peut constituer un frein par rapport aux établissements à toucher en priorité : simplification nécessaire au niveau administratif et éclaircissement avec les projets déjà existants dans le cadre de Culture-Ecole.

Sans un travail d’accompagnement pointu des référents culturels dans les écoles, les appels à projets ne permettront vraisemblablement pas de toucher les élèves priorisés dans le PECA, à savoir ceux qui se trouvent dans des établissements où peu, voire pas d’activités culturelles sont proposées.

Concernant l’identification des écoles prioritaires : le rôle des opérateurs n’est pas d’identifier les écoles à indice socio-économique faible et nécessitant un renforcement des actions, voire leur gratuité. L’application d’une discrimination positive en subventionnant suffisamment celles-ci semblerait plus adéquate.

Concernant la liberté des artistes et la spontanéité des projets , il est important de tenir compte des spécificités de chaque artiste et plus particulièrement de leurs méthodologies très différentes de celles des écoles ou encore des opérateurs socio-culturels. L’envie de transmettre de la part de l’artiste devrait être un des seuls critères qui détermine s’il peut lancer un projet PECA. Il existe également déjà de nombreuses initiatives artistiques spontanées sur les territoires et il importe de les soutenir sans leur imposer une charge administrative trop lourde.

Concernant les problèmes de temporalités dus à l’obligation d’intégrer le PECA dans les prochains contrats-programmes et plans quinquennaux, les opérateurs culturels sont obligés de tenir compte du PECA pour leur prochain plan de développement, ce qui implique un travail d’intégration du PECA, de réunion, de préparation et d’évaluation des projets qui augmente et qui s’ajoute aux objectifs préexistants.

Le financement de ce dispositif ambitieux pose également question quant à l’écart important entre les objectifs du décret, l’étendue des besoins et les moyens disponibles identifiés, ce qui impliquera nécessairement l’obligation de faire des choix par arrondissement et localement. In fine, la question se pose de savoir quels lieux, quels acteurs seront légitimes pour décider de ces choix, selon quels critères et selon quelles modalités.

Il conviendra également de veiller à ne pas conditionner l’accès au subventionnement sur le seul critère de l’apport pédagogique. En effet, dans un souci de transversalité promulgué par le Pacte d’Excellence, l’activité culturelle serait choisie pour son apport pédagogique – à savoir une activité qui valorise l’une ou l’autre compétence – et non pour sa qualité artistique. On risque, d’une part, d’imposer un objectif pédagogique aux démarches artistiques et, d’autre part, de nier les spécificités du langage artistique en transformant l’artiste en pédagogue.

Concernant ce même risque de privilégier le quantitatif au qualitatif, la crainte est forte que, par manque de temps laissé à l’implémentation du décret, les contenus n’aient pas pu être suffisamment réfléchis par les opérateurs, en lien avec les objectifs pédagogiques de l’école. On pourrait assister à la visite de 5 classes dans une bibliothèque ou dans un lieu de diffusion, comme une expo par exemple, donnant le sentiment que l’obligation décrétale est rencontrée alors que les élèves ne tirent pas forcément quelque chose de cette expérience.

La gratuité imposée par le PECA peut être perturbante pour certains opérateurs culturels qui ne la pratiquent pas et se la verraient ainsi imposée dans le cadre de leurs collaborations avec l’enseignement mais pas dans d’autres facettes de leur métier. On constate, en effet, des pratiques variables sur le terrain (activités souvent gratuites en bibliothèque mais pas nécessairement pour les centres culturels ou dans des musées, par exemples). Le financement sera-t-il suffisant pour proposer cette gratuité et, plus globalement, la gratuité est-elle toujours la bonne solution ?

Le rôle des Provinces dans le dispositif n’est pas clairement défini. Or, toutes les Provinces portent une politique culturelle et sont actives dans le domaine de l’enseignement.

Le fait de limiter les activités culturelles et artistiques acceptées dans le cadre du PECA à celles provenant d’opérateurs culturels reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles pose également question, notamment sur le plan des opérateurs culturels, y compris provinciaux, non reconnus et donc non financés par la Communauté française et dont la présence sur le terrain est pourtant évidente.

Aussi, l’article 4 de l’avant-projet de décret énonce qu’un opérateur culturel se définit comme « toute personne physique ou morale dont les activités s’inscrivent dans le cadre des politiques culturelles et qui bénéficient, à ce titre, d’une reconnaissance ou d’un soutien de la Communauté française ».

Au vu de l’importance de cette notion, nous pointons la nécessité de prêter une grande attention à sa définition et aux conditions à remplir pour en obtenir le statut et ainsi bénéficier des aides financières éventuellement liées au PECA.

En effet, dans le cas où celles-ci seraient trop restrictives, de nombreux artistes et opérateurs culturels qui entretiennent un partenariat de qualité et de longue durée avec une Province ou un autre pouvoir local, sans pour autant être reconnu ou subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles, pourraient ainsi avoir des difficultés à proposer leurs activités aux établissements d’enseignement, même s’ils y opéraient précédemment, alors que leur situation financière est déjà fortement précarisée par les crises successives des dernières années.

Dans le même esprit, il faudrait veiller à définir la notion d’artiste, telle qu’utilisée aux commentaires de l’article 31 de l’avant-projet de décret, et les aides financières que ces opérateurs peuvent obtenir dans le cadre du parcours d’éducation culturelle et artistique.

La notion d’enseignant-relais semble également centrale dans l’application de l’avant-projet de décret.

L’article 21 de ce document précise que « Chaque école identifie, en son sein, au moins un enseignant-relais au sein de l’équipe pédagogique, parmi les volontaires », mais ne précise ni le mode de désignation, ni la procédure à suivre dans le cas d’une absence de volontaire.

Au vu de la charge de travail induite par le rôle d’enseignant-relais, de son importance dans le parcours d’éducation culturelle et artistique, il apparaît nécessaire de préciser ces deux points.

Liens spécifiques avec l’Institution provinciale 

Quid de la place effective des Provinces dans les consortiums et les plateformes territoriales? Cette question induit celle de la pérennité des consortiums tels que constitués et reconnus en 2020, à priori pour 3 ans.

Par ailleurs et vu l’ampleur de la tâche, les consortiums ont pointé la nécessité de pouvoir engager une personne à temps plein pour la coordination des plateformes territoriales. Cela n’est actuellement pas possible vu le ratio obligatoire imposé entre les moyens dédiés aux ressources humaines et au fonctionnement. Il faut soit revoir ce ratio, soit augmenter le budget.

Quid de la représentation provinciale au sein du Conseil de l’éducation culturelle et artistique ? L’article 10 de l’avant-projet de décret ne prévoit pas de participation des Provinces au CECA. Or, au vu de l’implication des pouvoirs provinciaux dans la politique de l’enseignement et dans la vie culturelle de leurs territoires, il apparaît intéressant de prévoir une participation de ces institutions. Cela étant, la création du CECA en plus des différents consortiums ne risque- t-elle pas de complexifier encore l’outil ?

Quid de la place des Provinces comme opérateurs culturels en tant que tels dans les dispositifs envisagés ?

Quid de la place des Provinces dans la formation aux enjeux du PECA pour les futurs professionnels (enseignants, enseignants-relais, animateurs, éducateurs…) ? Sur le terrain, il apparaît, en effet, que très peu d’établissements scolaires sont informés de l’existence du PECA. Ce constat conduisant à la conclusion qu’une formation permettrait de contribuer au fonctionnement plus efficient du dispositif.

Vu le découpage territorial envisagé et les matières concernées, il y aurait un sens à ce que les Provinces puissent collaborer à l’organisation de ces formations spécifiques.

Par ailleurs, notre Association rappelle que les politiques culturelles provinciales reposent sur une enveloppe fermée.

Or, la lecture de l’avant-projet de décret ne permet pas de déterminer si les aides prévues par la Fédération Wallonie-Bruxelles sont conditionnées, pour certains acteurs culturels, à une participation à parité des Provinces.

En outre, ce constat est renforcé par les modifications apportées par les articles 32 et suivants de l’avant-projet à divers textes tels le décret du 10 avril 2003 relatif à la reconnaissance et au subventionnement du secteur professionnel des Arts de la scène ou le décret du 30 avril 2009 relatif au développement des pratiques de lecture organisé par le réseau public de lecture et les bibliothèques publiques.

De manière plus générale, pour les activités réalisées dans le cadre scolaire, tout en restant cohérent, il serait opportun de rester attentif à proposer une adaptation raisonnée des décrets relevant du secteur culturel et artistique (Centres Culturels, Lecture publique, CEC…) au regard des objectifs propres au décret PECA (qui garde comme spécificité de compléter le Pacte d’Excellence du secteur enseignement) et ce, en évitant une trop forte instrumentalisation des opérateurs culturels qui risque, à terme, sur le terrain, de leur être préjudiciable.

Remarques spécifiques relatives à la lecture publique, aux centres culturels et au secteur muséal

Lecture publique (article 34)

Cet article modifie le décret du 30 avril 2009 relatif au développement des pratiques de lecture organisé par le réseau public de la lecture et les bibliothèques publiques, appelé communément « Décret Lecture publique », afin d’y intégrer les objectifs, stratégies et priorités du PECA.

Les écoles sont les premières collectivités bénéficiaires des services des bibliothèques. La très grosse majorité des établissements d’enseignement fondamental visite régulièrement les bibliothèques et y emprunte. C’est dire que le PECA y était développé avant même d’avoir été formalisé et que les bibliothécaires sont convaincus du bien-fondé de ses postulats.

Certaines classes, dans le cadre d’un projet coconstruit par l’enseignant et le bibliothécaire, se voient offrir plus que l’accueil et le prêt : lecture de textes, conterie, spectacle, exposition guidée, jeu collectif ou atelier créatif autour du langage et de disciplines artistiques variées, etc. ; cela rentre parfaitement dans l’esprit du PECA.

Néanmoins, et pour des raisons financières et humaines (manque d’effectifs !), il n’est évidemment pas possible aux bibliothèques de mettre en œuvre ce type de médiation avec toutes les classes de toutes les écoles de leurs territoires respectifs, d’autant que le principe de la gratuité d’usage en bibliothèque doit être respecté. Cette offre plus large ne tient qu’à la hauteur des moyens de la bibliothèque et à la volonté plus ou moins affirmée de collaborer de l’enseignant ; il n’y a là aucune volonté de prioriser ni de rejeter quiconque et, d’un trimestre à l’autre, les classes bénéficiaires de ce partenariat évoluent. L’espoir est bien sûr que, grâce au PECA, la demande vienne désormais davantage d’écoles « éloignées de la culture ». Dans ce contexte, ne faudrait-il pas prévoir la possibilité de subventionner un animateur pédagogique ou un enseignant-relais dans les bibliothèques ?

Vu les besoins immenses au sein du monde scolaire, il ne faudrait pas arriver au point que les bibliothèques publiques soient subordonnées aux écoles.

Nous tenons à rappeler que, selon le décret Lecture publique, chaque bibliothèque, sur base d’un plan quinquennal, établit ses objectifs, ses priorités et ses méthodes à partir de son diagnostic territorial en matière de développement de la lecture et des pratiques langagières. Il se peut donc, concrètement :

  • que telle bibliothèque mène un projet avec deux classes mais ne puisse le faire avec une troisième ;
  • que telle autre n’ait pas mis les publics scolaires dans ses priorités de quinquennat parce que d’autres besoins lui semblent plus urgents.

La crainte, à la lecture des intentions du décret PECA, est donc d’aller à l’encontre de cette « liberté réfléchie » qu’accorde le décret Lecture publique :

  • que chaque bibliothèque, dans tous ses plans successifs, soit obligée (sous peine, dit le décret PECA, de devoir se justifier pour maintenir sa reconnaissance) d’y intégrer des partenariats avec les écoles au risque de devoir négliger d’autres publics (non captifs le plus souvent) ;
  • que le choix des écoles partenaires soit limité à celles qui sont cataloguées par le PECA comme appartenant à une zone pauvre en culture.

Ajoutons que le rôle de la bibliothèque itinérante doit être défini dans le processus.

Bref, la crainte – qui n’est pas nouvelle dans le chef des bibliothécaires mais que voilà renforcée – est que la lecture publique, sans aucun apport humain ni financier supplémentaire, soit « instrumentalisée ».

Enfin, à l’initiative de Madame la Ministre de la Culture et suite à la seconde évaluation du décret Lecture publique, une grande concertation du terrain vient d’être lancée avec le but avoué de faire évoluer la législation afin de l’adapter aux évolutions des besoins et pratiques. Une première journée d’intelligence collective rassemblait environ 75 personnes le 2 mai ; d’autres journées vont suivre d’ici fin septembre. La modification imprévue du décret Lecture publique pour y intégrer le PECA ne semble pas faire partie des sujets de la concertation… Nous sommes donc étonnés du contenu de l’art. 34 du PECA, alors que l’évaluation du décret Lecture publique ne fait que commencer.

Centres culturels (article 36)

Outre le chantier que représente une modification décrétale, le fait d’inclure le PECA dans les objectifs généraux des centres culturels oblige-t-il ceux-ci à devenir « organisateur local du PECA » ? Dans ce cas, deux questions se posent :

  • Quel est le rôle des CC par rapport aux coordinations régionales mises en place dans le dispositif PECA ?
  • Quelle est la place et la latitude laissée aux CC pour la programmation d’activités hors PECA ? Pour rappel, les CC développent une part non négligeable de leurs activités en relation avec l’école. Des partenariats solides ont été créés au niveau local. Il serait contreproductif de les tenir hors-jeu sous prétexte de mise en place du PECA et/ou de son calendrier.

La proposition vise également à ajouter le PECA aux objectifs de l’action culturelle générale ET la possibilité de reconnaissance d’une « action culturelle spécialisée PECA ». Deux remarques s’imposent :

  • la définition de l’action spécialisée se ferait, dans le cas du PECA, par rapport à un public et non plus par rapport à une matière culturelle, ce qui pose question ;
  • si l’action générale englobe le PECA, comment les CC pourront-ils justifier d’une spécialisation en PECA (il existe un précédent sur lequel la Commission de développement territorial a bien du mal à statuer, à savoir celui de l’éducation permanente ; le schéma est le même : comment justifier d’une mission spécifique si celle-ci s’inscrit dans les objectifs généraux des CC ?) ?

Enfin, cette modification du décret poserait la question de l’économie des secteurs des CC et du PECA. Les CC, structurellement sous financés, déposent des demandes de spécialisations et s’investissent dans celles-ci pour obtenir des compléments de financement et ainsi pouvoir fonctionner. Il ne serait donc pas évident pour un CC de percevoir un « subside PECA » via une spécialisation et de le restituer à des opérateurs locaux. Il serait plus intéressant de soutenir directement le PECA en lui attribuant les moyens qu’il mérite, plutôt que de procéder à un « subventionnement indirect » via le secteur des CC.

CC et PECA ont, semble-t-il, tout à gagner à rester différenciés et complémentaires.

Secteur muséal (article 38)

Le musée remplit déjà les attentes, le seul impact réel est d’ordre administratif. Le parcours permanent et les expositions temporaires du Musée de la Vie wallonne permettent de contribuer à la pleine découverte et connaissance du contexte historico-économico-social du territoire.

Les offres pédagogiques, culturelles et artistiques, multiples, dynamiques et adaptées aux cibles scolaires constituent une base pertinente contribuant activement aux objectifs et stratégies PECA.

Ces activités sont, en effet, réfléchies et construites pour correspondre au mieux aux programmes et attentes du corps enseignant. Les approches du musée ont été saluées par les référents scolaires et culturels liégeois, que la Province a rencontrés. Ils seront des intermédiaires éclairés et indispensables pour renforcer la visibilité des animations possibles au sein de l’institution.

La concrétisation des actions PECA ne sera donc pas chronophage pour les équipes internes puisqu’elles n’entravent pas l’organisation quotidienne. La seule contrainte, pouvant impacter le fonctionnement et diminuer la capacité des musées à participer, est d’ordre administratif : les réservations/mises en place d’animations PECA peuvent répondre à des appels à projets, dont l’échéance est relativement courte.