Le 25 novembre dernier, l’Association des Provinces wallonnes a émis, dans le cadre de la fonction consultative, un avis sur l’avant-projet de décret modifiant le Code de la Démocratie locale et de la Décentralisation en vue de simplifier les dispositions relatives aux marchés publics et aux concessions de services et de travaux.
Préambule
En amont de l’élaboration du texte soumis pour avis, notre Association a participé aux réunions du groupe de travail mis en place par le cabinet du Ministre en présence de différents représentants de Pouvoirs locaux. À titre préalable, l’APW tient à remercier la Région wallonne pour cette fructueuse collaboration dans un souci de simplification administrative.
Néanmoins, si ces réunions ont permis des échanges constructifs, nous sommes quelque peu surpris de constater que les modifications envisagées s’éloignent en plusieurs points des considérations qui faisaient consensus au sein du GT, ce que nous regrettons.
Sur le contenu
- Sur les transmissions à la Tutelle
L’APW se réjouit de l’adaptation des seuils de transmission obligatoire qui permettent la réduction de la charge de travail en termes de transmission des décisions (attribution, adhésion à une centrale d’achats, concession…) pour lesquels, parfois, aucun montant minimal n’était prévu.
En outre, le fait que la transmission de l’adhésion à des centrales d’achats ne soit plus obligatoire allège la charge administrative et permet une économie en termes de dépenses car les prix convenus dans le cadre d’une centrale d’achats sont les plus intéressants.
- Sur les délégations
Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que l’article 8 de l’avant-projet de décret consacré aux seuils des délégations suscite de nombreuses inquiétudes.
Si une certaine souplesse est observée pour les dépenses relevant du service ordinaire (le seuil passant de 8.500,00 à 15.000,00 euros pour les délégations au Directeur général ou un autre fonctionnaire), elle est contrebalancée par un durcissement pour les dépenses relevant du service extraordinaire puisque les seuils de délégation sont diminués.
Concernant les délégations du Conseil vers le Collège provincial au budget extraordinaire, on déplore une diminution du seuil de 144.000,00 euros à 120.000,00 euros. Dans ce nouveau cadre, on se retrouve avec un alourdissement en raison du passage d’un plus grand nombre de dossiers au Conseil provincial en lieu et place du Collège, ce qui allonge également les délais d’approbation. Ce changement de rythme (un mois en Conseil en lieu et place d’un Collège hebdomadaire) risque de fragiliser la bonne réalisation des objectifs provinciaux et de nuire à l’image des Provinces.
Il en va de même pour les délégations possibles au Directeur général dont les seuils sont diminués de moitié (de 3.000,00 à 1.500,00 euros). Cette modification risque, elle aussi, de mettre à mal la réactivité des Provinces. En effet, les commandes validées par les Directeurs généraux provinciaux se comptent, par Province, en plusieurs dizaines de milliers d’euros. Cette délégation n’est donc pas anecdotique.
Ces durcissements des seuils provoquent notre incompréhension. Pourquoi un avant-projet de décret, dont l’objectif clairement énoncé en son intitulé est « de simplifier les dispositions relatives aux marchés publics et aux concessions de services et de travaux », impose-t-il une telle limitation ?
Cette confusion est renforcée par le fait que les montants des seuils repris dans le texte en projet n’ont pas de correspondance avec la loi relative aux marchés publics. La démultiplication du nombre de seuils applicables va à l’encontre de la simplification administrative.
D’un point de vue général, nous ne pouvons qu’encourager un alignement des montants avec ceux de la loi relative aux marchés publics. Pour faciliter la bonne compréhension et l’application des règles de compétences provinciales, le seuil de la délégation au Collège à l’extraordinaire pourrait correspondre au seuil de la procédure négociée sans publication préalable, tel que prévu par arrêté royal et régulièrement adapté par la Commission européenne. Dans le même ordre d’idée, il serait plus cohérent, outre la simplification administrative engendrée, de lier le seuil de la délégation au Directeur général ou un fonctionnaire à l’ordinaire au seuil applicable aux marchés de faibles montants (30.000 euros à la place des 15.000 euros prévus par l’avant-projet).
- Sur l’obligation de rapportage
Si la transparence en termes d’usage des délégations octroyées n’est pas remise en cause, les lourdeurs administratives soulevées ci-dessus sont encore accentuées par l’insertion d’une nouvelle obligation : le rapportage au Conseil provincial par le Directeur général.
Nous nous permettons d’insister sur le fait que sa rédaction engendrerait une charge de travail conséquente pour une efficacité extrêmement réduite. Loin d’une simplification, le rapportage tel que décrit dans le texte en projet représente un travail administratif considérable.
En effet, l’avant-projet de décret prévoit que le rapport devrait reprendre l’objet de l’acte, sa date d’adoption, l’adjudicataire et le montant de la dépense faite au Directeur général, des actes posés en vertu des délégations octroyées. Concrètement, une telle liste reprenant, au niveau provincial, l’ensemble des bons de commande émis par les différents secteurs va se révéler parfaitement illisible car constituée d’une quantité colossale de lignes sans qu’aucune information pertinente puisse en être tirée par le Conseil provincial.
- Sur la durée des délégations
Le texte en projet limite également la durée des délégations à des demi-mandatures. Nous peinons à trouver la pertinence de cette modification de nature à compliquer et augmenter le travail de l’administration.
En sus de l’absence de simplification administrative, cette obligation de renouvellement tous les trois ans s’avère inutile étant donné que le Conseil provincial est libre de modifier ou abroger sa délibération à tout moment.
Pour ces différentes raisons, l’APW recommande de maintenir la limitation des délégations à la mandature, soit 6 ans.
A titre subsidiaire, nous nous interrogeons également quant aux mesures transitoires et à l’entrée en vigueur de l’avant-projet de décret. Une question subsiste : les délibérations actuelles des Conseils communaux et provinciaux prendront-elles fin de plein droit dès l’entrée en vigueur du décret, prévue le 1er jour du 3ème mois qui suit la publication au Moniteur belge, si elles ont plus de trois ans ?
- Sur les centrales d’achats
Concernant les centrales d’achats, notre Association tient à épingler une modification étonnante quant à l’estimation des besoins futurs qui devrait passer en Conseil : quid d’une délégation ?
À ce jour, le processus décisionnel relatif aux centrales d’achats peut être résumé comme suit : l’adhésion à la centrale revient au Conseil et la définition du besoin ainsi que la décision de recourir à la centrale relève du Conseil sauf en cas de délégation. La commande et le suivi de l’exécution (soit l’attribution du marché) appartiennent au Collège (sauf délégation). La manifestation d’intérêt et l’estimation des besoins futurs (préalable désormais obligatoire avant le lancement de marché par la centrale) sont, en fonction de la pratique de la centrale, soumis au Conseil lors de la proposition d’adhésion.
A l’avenir, dans un soi-disant souci de simplification administrative, l’adhésion, la manifestation d’intérêt, l’estimation des besoins futurs et les modifications/résiliation relèveraient de la compétence du Conseil. En d’autres termes, l’estimation des besoins futurs (qui consiste, dans certains cas, à communiquer le nombre de crayons ou de chaussures que les services pourraient éventuellement commander) devrait préalablement être soumise au Conseil provincial. Une délégation semble être possible mais le projet de décret est particulièrement vague et sibyllin à cet égard. Cette modification n’est en aucun cas une simplification mais l’archétype d’une strate de complication supplémentaire. Désormais, si une demande arrive en juin/juillet/août, les Provinces ne pourraient leur communiquer l’information et donc profiter du marché mis en centrale…
- Sur les accords-cadres
Notre Association encourage la modification de la notion de « prise d’acte » lorsque le Collège exerce d’initiative les compétences du Conseil provincial dans les cas d’urgence impérieuse. L’utilisation de cette terminologie ne semble pas être la plus pertinente.
En conclusion
À l’exception de l’abrogation de la transmission obligatoire de certaines délibérations pour l’exercice de la tutelle, nous sommes circonspects quant au contenu de l’avant-projet de décret qui, bien qu’annonçant une simplification, entrainerait des lourdeurs administratives à différents égards.
Nous nous permettons de rappeler que l’avant-projet de décret soumis à examen ne reflète pas tout à fait les discussions et échanges hebdomadaires du groupe de travail au sein duquel de nombreux consensus ont été dégagés.
À la lumière des considérations développées ci-dessus, notre Association plaide en faveur :
- de la suppression de l’obligation de rapportage annuel pour les délégations au Directeur général ou à un autre fonctionnaire ;
- du maintien de la durée des délégations sur une période correspondant à une législature en lieu et place d’une reconduction trisannuelle chronophage ;
- du maintien des seuils de délégation au budget extraordinaire (tant pour le Collège que pour le Directeur général ou un autre fonctionnaire), voire un alignement avec les seuils repris dans l’arrêté royal pris en exécution de la loi relative aux marchés publics ;
- de l’insertion d’une délégation pour l’estimation des besoins futurs en centrale d’achats ;
- de la modification de la terminologie « prise d’acte » par le Conseil qui ne semble pas être la plus pertinente.