Aide aux Gens du voyage – Avis de l’APW

En date du 14 juillet 2017, l’APW a remis son avis au Ministre Maxime Prévot concernant l’avant-projet de décret modifiant le titre VII du livre 1er de la 2e partie du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé relatif à l’aide aux Gens du voyage.

L’Association tient, tout d’abord, à remercier le Ministre d’avoir sollicité son avis sur ce dossier. De même, elle ne peut que se féliciter de l’intérêt que la Région wallonne porte à l’Institution provinciale en lui accordant de nouvelles compétences. L’APW considère cela comme un signe d’attachement envers les provinces et une reconnaissance de la qualité de leur travail.

Cependant, elle ne peut approuver, en son état actuel, l’avant-projet de décret dont question en raison de l’obligation de résultat imposée aux provinces en matière d’organisation d’accueil des Gens du voyage sans leur donner les moyens d’y parvenir.

L’APW serait bien plus favorable à la création de mesures incitatives en ce qui concerne l’accueil des Gens du voyage avec un renforcement du dialogue entre les provinces et leurs communes dans le cadre, déjà bien établi, de la supracommunalité, plutôt que cette procédure contraignante, exempte de tout dialogue et concertation.

L’Association émet le souhait que les remarques ainsi émises puissent être prises en considération et intégrées dans la version qui sera soumise en deuxième lecture au Gouvernement wallon.

Remarques générales

Au préalable, l’APW tient à souligner que les provinces wallonnes et l’association sont bien conscientes de la situation difficile rencontrée par les Gens du voyage ces dernières années, qui doivent systématiquement faire face à des réactions de défiance et de rejet à leur égard dans le chef des citoyens mais aussi des pouvoirs publics.

Les provinces ont déjà réfléchi et agi sur cette thématique, notamment dans le cadre de la supracommunalité. A titre exemplatif, la Province de Liège a récemment avalisé le projet de mise à disposition d’un terrain provincial afin de créer une aire pour les Gens du voyage sur le territoire d’une de ses communes. Celui-ci a été le fruit d’une concertation entre la province et la commune concernée.

De même, des discussions et concertations sur le sujet se sont déjà tenues au sein des instances supracommunales de certaines provinces afin de permettre d’identifier les besoins en matière de Gens du voyages et d’essayer d’y trouver des solutions qui correspondent à la réalité territoriale de la province concernée.

Ainsi, en Brabant wallon, le « Conseil 27 + 1 », réunissant la province et les communes de son territoire, a décidé qu’il était préférable de ne pas formaliser plus que mesure la procédure en ce qui concerne l’accueil des Gens du voyage et de privilégier les contacts informels avec les différents groupes mais aussi avec les personnes pouvant être impactées momentanément par cet accueil (voisinage et bourgmestres des communes voisines, avec le souhait d’y inclure, dans le futur, des représentants des agriculteurs) et ce, dans un souci de partager le temps d’accueil dans les meilleures conditions possibles.

En sus, la même province a déjà inscrit, à plusieurs reprises, au budget provincial, des crédits d’équipements de terrains à destination des communes sans aucune concrétisation de ceux-ci.

Un travail de concertation entre les pouvoirs locaux et des représentants des Gens du voyage a donc déjà été réalisé dans ce cadre, ce qui a conduit à des solutions locales et adaptées au territoire. Il appert que l’avant-projet de décret ne prend pas en compte les échanges déjà intervenus dans le cadre de la supracommunalité.

De plus, le texte soumis à l’étude de l’APW présentement prévoit que ce soit les provinces qui assument totalement la charge de garantir une offre suffisante de terrains d’accueil sur leur territoire. De fait, en sus de devoir coordonner la programmation de l’accueil, les provinces doivent suppléer aux défections des communes en organisant elles-mêmes l’accueil manquant.

L’Association des Provinces wallonnes tient à marquer son désaccord sur cette manière de procéder, qui constitue une atteinte grave à l’autonomie des provinces et qui ne peut être tolérée.

Il n’est pas acceptable que ces dernières doivent supporter la responsabilité d’une offre de terrains suffisante en Région wallonne alors qu’elles ne disposent pas de pouvoir d’injonction ou de moyens de pression, ni sur les communes pour leur imposer l’ouverture aux Gens du voyage de certains de leurs terrains, ni sur les Gens du voyage dans le but qu’ils s’installent sur un terrain déterminé au préalable. Les provinces seront donc tributaires de la bonne volonté des communes et de la coopération des Gens du voyage.

Qui plus est, l’avant-projet de décret n’oblige pas les communes à indiquer les terrains disponibles sur son territoire. Une commune peut donc très bien éviter d’informer la province des aires pouvant potentiellement être utilisées sur son territoire sans qu’aucune sanction ne soit prévue. Dans la même lignée, les communes devront délivrer une autorisation annuelle aux aires gérées par des propriétaires privés. Celles-ci pourront donc, sans aucune sanction, refuser de remettre de telles autorisations.

Ceci est d’autant plus problématique en sachant que le Gouvernement wallon s’est basé sur un recensement, réalisé par le centre de médiation des Gens du voyage et des roms, de l’ensemble des terrains déjà utilisés actuellement par les Gens du voyage pour déterminer le nombre de semaines d’ouverture obligatoire. Or, ce recensement reprend les terrains qui sont occupés avec mais aussi sans autorisation communale, de manière officielle ou officieuse, de façon régulière ou non…

Les sanctions financières prévues en cas de défaillance dans le cadre de l’accueil ne sont absolument pas négligeables (impossibilité de solliciter des subventions dans le cadre des programmes triennaux, 10 000 euros retirés du solde de 20 % du Fonds des provinces lié à la supracommunalité par semaine de disponibilité manquante et 80 000 euros retirés par an en l’absence d’une aire aménagée et équipée pour 2022). Celles-ci sont à destination unique des provinces.

Chaque province pourrait donc être sanctionnée pour un montant maximal de 1 400 000 euros en cas de défaillance d’aire d’accueil, montant qui serait prélevé du Fonds des provinces, qui, à l’origine, est destiné au financement général des provinces et non à l’affectation de l’une ou l’autre matière.

Outre le fait que cette épée de Damoclès semble peu propice à l’établissement d’un dialogue serein avec les communes, il parait totalement injuste que les provinces soient les seules à être sanctionnées à l’exclusion des autres acteurs impliqués en matière d’accueil des Gens du voyage.

De manière plus explicite, il est discriminant que les provinces doivent supporter seule une obligation de résultat avec sanctions sévères à la clef sans qu’aucun moyen ne leur soit donné pour atteindre ledit objectif. L’Institution provinciale ne peut être la seule responsable dans le cas où la coopération avec les communes serait, involontairement ou volontairement, défaillante.

Si la volonté du Gouvernement est de le conserver en l’état le texte soumis à notre étude, une réflexion devrait être entamée sur une possible mise en place d’une procédure contraignante à l’encontre des communes qui ne contribueraient pas à l’aide aux Gens du voyage sans motif légitime ou une possibilité de se retourner contre lesdites communes pour qu’elles supportent également une charge financière. Il serait ainsi mis en place un dispositif de solidarité constructive.

De plus, l’indication selon laquelle le montant de la sanction infligée à une province serait partagé entre celles répondant aux obligations imposées risque d’entraîner une forme de concurrence entre celles-ci.

L’APW tient aussi à souligner que l’avant-projet, dans son imposition de 140 semaines d’ouverture cumulée par province, ne fait pas de distinction entre celles-ci, bien que chaque province a ses spécificités en matière de densité de population, de pression foncière, de demandes d’accueil, etc. Il appert opportun de prendre en compte ces éléments, si ce n’est dans le décret, à tout le moins dans l’arrêté du Gouvernement dans le cadre de la détermination des capacités des aires d’accueil.

Par ailleurs, le projet de décret ne tient pas compte des réalités différentes que vivent les provinces. Ainsi la Province de Luxembourg n’est propriétaire d’aucun bien susceptible de convenir à l’accueil et aucune demande ou formulation de besoin ne lui a jamais été soumise à ce sujet. Il n’est, évidemment, pas envisageable qu’elle doive arriver à une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique de terrains communaux pour réponde à l’obligation du décret.

Pour conclure, bien que l’Association des Provinces wallonnes ne peut qu’être satisfaite de l’intérêt que porte la Région wallonne au développement des compétences provinciales, signe d’un attachement envers l’Institution et d’une reconnaissance de l’efficacité de ses services, la délégation de nouvelles compétences aux provinces ne peut que se réaliser sur base d’un dialogue emprunt de confiance et de respect mutuel basé sur le principe de subsidiarité.

Remarques spécifiques

Exposé des motifs (page 2 – introduction) : celui-ci reprend les cinq objectifs de la réforme en matière d’aide aux Gens du voyage. Il est ainsi indiqué que l’avant-projet de décret impose une programmation territoriale des aires accessibles. Or, en l’espèce, l’avant-projet de décret ne prévoit aucune programmation territoriale.

Art. 3     – n°2 : la deuxième définition de l’article concerne la période de séjour temporaire. La dernière phrase de celle-ci, libellée en ces mots : « ces aires sont destinées à l’accueil de groupes familiaux de courte durée » n’a pas sa place dans ladite définition.

n°6 et 7: il est repris également les définitions d’aire temporaire (terrain détenu par un propriétaire public ou privé affecté temporairement durant l’année à l’accueil des Gens du voyage) et d’aire d’accueil (terrain aménagé comprenant au minimum un accès à l’eau potable, à l’électricité et à des sanitaires).

L’APW attire l’attention du Ministre sur le fait que le communiqué de presse et l’exposé des motifs ne sont pas en concordance avec l’avant-projet de décret sur ce point. Ceux-ci précisent que les aires temporaires doivent permettre l’accès à l’eau, l’électricité, aux sanitaires et à l’organisation du ramassage des immondices, ce que ne prévoit pas l’avant-projet de décret au regard des définitions précitées (et selon lequel seules les aires d’accueil doivent reprendre ces accès).

Si l’intention du Gouvernement est que chaque aire bénéficie de ces installations, quelle est la différence entre l’aire aménagée et l’aire temporaire?

Art. 18  – §1: cette disposition prévoit que, par province, les Gens du voyage devront disposer d’un accès aux aires d’accueil et temporaires correspondant à l’équivalent de 140 semaines d’ouverture cumulée. L’Association souhaiterait avoir la confirmation que les pouvoirs locaux disposent d’une liberté dans l’organisation de cette obligation.

En effet, le communiqué de presse annonce que « chaque terrain devant être disponible durant 8 mois, cela équivaut donc à un équivalent de disponibilité de 4 (terrains) X 35 (semaines) soit 140 semaines à organiser sur le territoire provincial ». La note au Gouvernement indique également que « les provinces seront donc sollicitées afin d’organiser en collaboration avec les communes de leur ressort un accès minimum de quatre équivalent-terrains sur leur territoire durant la période de séjour temporaire qui s’étend de mars à fin octobre« .

L’APW suppose que la référence à la mise à disposition continue de 4 terrains durant 8 mois est un exemple de répartition de terrains mais ne constitue pas une obligation et que, dans un souci d’une meilleure répartition territoriale et de rotation d’occupation d’aires, il sera possible, pour répondre à l’obligation de 140 semaines d’ouverture, de reprendre certains terrains disponibles durant une période limitée, comme le prévoit la mouture actuelle du projet de décret.

En sus, au regard du fait que le séjour dure en moyenne 15 à 21 jours, il devrait y avoir une durée minimale d’accueil sur un même terrain (deux ou trois semaines).

En ce qui concerne la forme, à l’alinéa deux, il faut remplacer le mot « informe » par « informent ».

– §2 : pour le début de l’année 2022, les Gens du voyage devront pouvoir disposer d’une aire d’accueil aménagée par province. Ne faudrait-il pas stipuler un minimum de semaine de disponibilité de cette aire ?

§3 : par ce paragraphe, le Gouvernement wallon a la possibilité de déroger à l’application d’une sanction financière sur base de circonstances exceptionnelles qui le justifient. Ces dernières doivent être objectives sous peine d’entrainer une iniquité de traitement entre les provinces.

Art. 19 : Pourquoi est-il fait mention de normes minimales à établir en terme d’électricité, de sanitaires, d’eau pour les aires temporaires puisque, dans leur définition reprise dans l’article 3 (cfr. notre remarque ci-avant), il n’est pas prévu d’aménagements spécifiques pour celles-ci ? Il y a lieu de clarifier ce point et les exigences requises pour les aires temporaires et les aires d’accueil ainsi que leurs différences.

Par ailleurs, qui devra supporter les charges inhérentes à l’électricité, l’eau et l’enlèvement des déchets ?

Art. 22 – §1 : l’APW prend acte, avec satisfaction, que des subsides sont prévus en vue de l’acquisition, de l’aménagement, de l’accessibilité et de l’extension de terrains à destination des Gens du voyage. La note au Gouvernement prévoit d’ailleurs que le subventionnement passera à hauteur de 90 % des frais totaux en lieu et place de 60 % tel que prévu dans l’Arrêté de l’Exécutif de la Communauté française du 1er juillet 1982. L’Association suppose que la partie réglementaire de la réforme donnera plus de détails quant aux modalités et à la programmation des investissements.

En outre, il sera possible, pour une province et une/deux commune(s) (deux selon l’exposé des motifs mais une selon la note au Gouvernement), de s’associer et, dès lors, d’émarger au budget de la supracommunalité.

– §2 : Des subsides sont également programmés dans l’objectif de couvrir les frais de personnel d’un équivalent temps plein coordinateur/médiateur qui sera rattaché à chaque province.

Il est ainsi indiqué que : « La mission de celui-ci est de jouer le rôle de référent et de facilitateur entre les autorités provinciales et communales« . En l’absence de mention selon laquelle le médiateur sera dédié uniquement aux Gens du voyage, est-ce que cela signifie que ce dernier pourra intervenir dans d’autres matières supracommunales ?

L’APW espère qu’il n’est pas prévu de supprimer les subventions liées à l’engagement d’un agent communal de référence pour les Gens du voyage de par la création de ce nouveau subside, les missions prévues étant différentes dans les deux fonctions.

De même, il parait également opportun que l’octroi de ladite subvention puisse se faire dès l’entrée en vigueur du décret en non en 2019 comme planifié actuellement.